lundi 25 juillet 2011

Premières phrases du lundi


Les premières phrases d'aujourd'hui, très accrocheuses, sont tirées d'un formidable roman jeunesse, Black-out, de Sam Mills (éditions Naïve)


«Je suis un assassin.

Me voici dans cette librairie, un revolver encore chaud à la main. La balle qui se trouvait dans le canon il y a trente secondes a percé de la chair, déchiqueté une cervelle, et déjà la conscience succombe au métal.»


lundi 4 juillet 2011

Premières phrases du premier jour

Les premières phrases de cette semaine, très touchantes pour ceux qui ont lu les Chroniques de San Francisco d'Armistead Maupin, évoquent une ville transformée par le souvenir et la nostalgie:

«Si seulement il y avait eu un terrier de lapin, se disait-elle. Si seulement il y avait un truc avec cette colline, un souvenir sensoriel - la vue sur l'île d'Alcatraz, par exemple, les cornes de brume ou l'odeur des planches moussues sous ses pieds - qui lui permettraient de renouer avec un paradis perdu. Tout ce qui l'entourait lui était familier, et pourtant déconnecté de son quotidien, comme s'il s'agissait d'un lieu qu'elle aurait vu au cinéma mais n'aurait jamais visité. Elle avait déjà gravi ces marches usées - quoi? - des milliers de fois, et pourtant elle n'éprouvait pas du tout le sentiment de retrouver l'endroit où elle avait vécu, rien ne la ramenait à son vieil univers.

Le passé est le passé, pensait-elle. Il nous échappe.

mardi 28 juin 2011

L'art l'été

Les éditions Hurtubise aiment l’art contemporain. Et l’art tout court. Après le magnifique Tout sur l'art sorti avant Noël dernier, et le Grand livre de l’art contemporain, publié il y deux ans, ils lancent, juste avant les vacances d’été, un tout petit livre, pas cher, Découvrir et comprendre l’art contemporain. Mais pourquoi donc lancer un livre sur l’art contemporain en plein été? Parce que l’été est la saison idéale pour visiter des expos, des musées, des galeries d’art, ici ou à l’étranger. Et croyez-moi, la petite heure que vous demande la lecture de ce guide vous sera d’une très grande utilité!

John McCracken
Red Plank, 1967
Devant une œuvre abstraite, incompréhensible ou scandaleuse, avant de dire simplement «j’aime» ou «j’aime pas», il est intéressant de se poser toutes sortes de questions. Les deux auteures (et artistes), Dominique Bénard et Anne-Marie Houdeville, structurent justement leur guide autour de tous les commentaires qu’un amateur «moyen» émet devant une œuvre : «je me sens désemparé devant les œuvres contemporaines», «où est le sujet?», «mais ce ne sont que des taches!», «ce n’est même pas beau!», «c’est un dessin de l’école primaire!». Pour expliquer nos réactions, elles font appel aux connaissances d’un historien de l’art, Alain Bourdie. Excellent pédagogue et vulgarisateur, il compare des œuvres connues, apporte des réponses claires à des questions simples, raconte plein d’anecdotes. En fait, plutôt que de nous donner le sens des œuvres, il nous aide à décrypter les œuvres par nous-même. Notre plaisir s’en trouve multiplié. On en vient même à comprendre comment un bout de bois posé contre un mur peut représenter une œuvre d’art (page couverture ci-contre)! 

Heureux hasard, j’ai lu ce livre juste avant de visiter l’exposition de Richard Purdy, à la Cité de l’énergie de Shawinigan. L’exposition, intitulée l’Écho-l’eau, se compose de trois installations aménagées dans les immenses salles d’une ancienne usine restaurée. Elle se visite dans des pièces inondées, pieds nus ou chaussé de sandales. Dans la première salle, le spectateur déambule devant une série de tableaux (une bonne centaine) peints par l’artiste et posés tous à l’envers contre des murs de couleur bourgogne. Pour admirer les tableaux, il faut avancer les yeux dans l’eau… le plancher devenant le véritable lieu de l’exposition. Dans la deuxième salle, deux immenses rayons laser traversent la pièce plongée dans le noir et font ressortir la couleur fluorescente des milliers de pièces hétéroclites submergées, donnant l’illusion d’un espèce de big-bang. Enfin, la dernière installation, probablement la plus spectaculaire, permet au visiteur de voler avec des bernaches au-dessus d’une forêt de sapins de Noël artificiels! Encore ici, le pouvoir réfléchissant de l’eau offre au spectateur/acteur la possibilité d’entrevoir une dimension de la réalité encore insoupçonnée.


Qu'est-ce que la lecture de ce guide m'a apporté, me demanderez-vous? Une sensibilité. Une connaissance. Et des points de repère pour «lire» l’œuvre de Richard Purdy : l’importance des matériaux utilisés (sapins artificiels, bernaches sculptées, cadres recyclés, post-it, bracelets brésiliens, pétales de fleur en plastique, etc); la force de l’eau comme objet réfléchissant (certains diront narcissique); la démarche de l’auteur; son travail minutieux de préparation; l’expérience sensuelle qu’il fait vivre au spectateur. Bref, ce qui pouvait paraître du «n’importe quoi» au départ, trouve un sens par la maîtrise de quelques éléments d’analyse simples, faciles à appliquer sur place. Oubliez donc le guide des auberges, des restaurants et des sites touristiques à voir. Avant de partir en vacances, lisez plutôt Découvrir et comprendre l’art contemporain. Indispensable pour bronzer intelligent!

René Paquin
librairie Clément Morin, Trois-Rivières

lundi 27 juin 2011

Premières phrases du premier jour

Pour marquer le début des vacances, les premières phrases d'aujourd'hui nous conduisent au Maroc, sur les pas d'un personnage qui est en train de se perdre...


«Je n’avance plus. Je ne sais plus du tout où aller et je me rends bien compte que je suis parfaitement ridicule, et je rirais volontiers de moi si je n’étais aussi malheureux. Ridicule, oui, d’être parti pour l’Inde et de me retrouver trois mois plus tard dans une chambre d’hôtel à Marrakech, à me demander par où je pourrais bien passer pour continuer mon voyage. Mon itinéraire n’a aucun sens.» 

Louis Gauthier, Voyage au Maghreb en l’an mil quatre cent de l’Hégire, Fides

lundi 20 juin 2011

Premières phrases du premier jour!

Tous les lundis, pour bien commencer votre semaine, lisez les premières phrases - accrocheuses! - d'un roman. Cette semaine, je vous offre les premières lignes du nouveau roman d'Abla Farhoud, Le sourire de la petite Juive (VLB éditeur)

«Cette nuit, j’ai rêvé que j’avais autant d’enfants que de livres. Ou plutôt que mes livres étaient mes enfants en chair et en os. Je les regardais, alignés, bien sages, en ordre, du plus vieux au petit dernier, sur une rangée de ma bibliothèque. Mon lit était installé dans mon bureau, je ne sais pas pourquoi. Lit immense dans une immense pièce à la grandeur de mon appartement, et vide, à part la bibliothèque remplie à craquer, plaquée sur trois murs. Le quatrième mur était découpé par quatre fenêtres géantes qui allaient du plafond jusqu’au sol.»

Bonne lundi ensoleillé!

jeudi 9 juin 2011

Chronique d'une solitude

Mars 2009. Un homme est retrouvé dans une Toyota Prius, nu, inconscient, en bordure de l’autoroute qui mène de Glasgow à Aberdeen, dans le nord de l’Écosse. Sur le siège arrière de la voiture, des cartons contenant des centaines de brosses à dent, un sac-poubelle rempli de cartes postales, toutes envoyées de l’Asie. Un communiqué est rapidement émis pour révéler l’identité de l’homme : Maxwell Sim, 48 ans, représentant d’une jeune compagnie anglaise qui fabrique des brosses à dent qui, comme le dit bien le slogan, «vont partout». Comment Maxwell Sim en est-il arrivé là?

Parti de Londres quelques jours plus tôt, Maxwell Sim est en fait en mission commerciale. Sur le chemin qui le mène au point le plus septentrional du pays, il en profite pour revisiter la ville qui l’a vu naître, des gens qu’il a connus, des amis qu’il a aimés, sa fille qu’il a perdu de vue, son ex-femme qui l’ignore. Portrait d’un loser? Plutôt chronique d’une solitude. Solitude d’un homme qui a été largué par sa femme, qui est en congé forcé pour cause de dépression et qui rentre à peine d’un séjour d’Australie où il a tenté de renouer avec son père.

Tout ça vous semble bien sombre? C’est que vous ne connaissez pas le génie de Jonathan Coe! Auteur immense dans son Angleterre natale, Jonathan Coe maîtrise à la perfection l’art de raconter une histoire, de structurer un récit et de varier la narration pour faire avancer l’intrigue. Parce qu’intrigue il y a. Au moyen de journaux intimes, de cartes postales, de lettres, de poèmes, de récits de voyages et de messages électroniques même, la vie d’un homme ordinaire devient prétexte à une quête des origines, à une quête de la vérité. Entremêlant à la perfection les remarques acerbes sur l’Angleterre d’après le crash de 2008 et les mœurs de ses contemporains, Jonathan Coe dresse en fait le portrait d’un homme qui, sous le couvert de l’introspection, cherche des repères nouveaux dans une société désenchantée.

Je me suis beaucoup attaché à Maxwell Sim, personnage sombre mais pas désespéré. À travers son regard, une galerie de personnages atypiques, originaux et uniques prend forme. Brillamment écrite, dans une langue sobre mais juste, la chronique de cette solitude, jusqu’à un certain point, hypnotise. Jonathan Coe, à n’en pas douter, fait ce qu’il veut avec son lecteur et l’amène, comme le fait très bien son GPS (surnommé «Emma»!), sur les chemins sinueux de l’âme humaine. Un grand auteur, un grand roman! 

En complément: une entrevue filmée avec l'auteur (en anglais), sur la route, dans une Toyota Prius!

René Paquin, librairie Clément Morin Trois-Rivières

mercredi 2 février 2011

Thomas Pynchon ou quelque part au-delà de l'arc-en-ciel

            Thomas Pynchon est l’un des écrivains les plus étonnants qu’il m’ait été donné de lire ces dernières années.  Et je dis « étonnant » à défaut de trouver un qualificatif plus approprié, car ses romans sont tout bonnement inqualifiables.  James Joyce serait peut-être l’écrivain auquel je serais le plus tenté de le comparer, avec son mélange d’absurde et d’érudition, de surréalisme et de dérision, mais un James Joyce américain, postmoderne, influencé par la beat generation et la contre-culture.  Le critique littéraire Harold Bloom considère Pynchon comme l’un des plus grands auteurs américains vivants, de pair avec Philip Roth, Don DeLillo et Cormac McCarthy. 

            L’écriture de Pynchon est à tous les points de vue « pléthorique », foisonnante, et c’est sans doute ce qui en constitue de prime abord la difficulté.  Il y a tellement de personnages, tellement de couches d’informations et de niveaux de langage qu’il devient parfois difficile de tous les assimiler: « Comment s’y retrouver dans cet imbroglio de sigles, de noms, dont il faut se souvenir? », écrit-il dans L’Arc-en-ciel de la gravité.  Phrase qui pourrait très bien s’appliquer à ses romans.  Car on ne s’y retrouve pas justement, on s’y perd, et c’est ce qui, paradoxalement, fait l’intérêt de cet auteur.  L’intrigue que suivent les personnages, ou plutôt les différentes intrigues qui s’entrecroisent, ne semblent avoir aucune solution de continuité entre elles mais être seulement des prétextes au flux de conscience qui les emporte, et dans lequel l’auteur se livre à toutes ses fantaisies (en apparence seulement, car tout cela est maîtrisé et ne déborde pas du cadre de « l’histoire », même si on perd souvent de vue celle-ci).  Tout cela parsemé d’images surréalistes telles que : « avec des yeux comme les trous qu’on fait en pissant dans la neige », ou : « un arrière-goût […] de carbonisation dans une ville déserte à quatre heures un après-midi de dimanche », ou encore : « Il a changé, c’est sûr, à plumer l’albatros de son ego comme on se fourre les doigts dans le nez ». Et je ne parle pas ici de ces chansons loufoques que Pynchon intercale systématiquement à l’intérieur de ses romans, qui leur donnent l’allure de comédies musicales, et qui sont comme sa marque de commerce.

            Il faut dire que Pynchon lui-même est une énigme.  À l’instar d’un Réjean Ducharme, il n’apparaît jamais en public.  Les rares photos que l’on possède de lui datent, pour la plupart, d’il y a plus de quarante ans.   CNN l’aurait filmé sans son consentement à la fin des années 90, à la suite de quoi il aurait accepté d’accorder une entrevue à la condition qu’on ne diffuse pas les images.  Quand on l’interrogea sur sa vie recluse, il répondit ironiquement : « Je crois que reclus est un code utilisé par les journalistes et qui signifie qui n'aime pas parler aux reporters ».  En 2004, sans doute pour faire un pied de nez aux médias, il accepte de prêter sa voix, dans deux épisodes des Simpson, à un personnage le représentant… avec un sac sur la tête ! 
            Cet automne est paru au Seuil son plus récent ouvrage, Vice caché, un polar déjanté se déroulant dans le Los Angeles des années 70.  On y suit Doc Sportello, détective privé et grand fumeur de « pot », plongé dans une enquête invraisemblable impliquant des surfeurs, des pirates et toute une galerie de personnages plus colorés les uns que les autres.  Aussi paru dernièrement, la version poche de L’Arc-en-ciel de la gravité, récipiendaire du National Book Award en 1974.  La même année, le jury du prix Pulitzer l’avait également élu gagnant à l’unanimité, mais le vote fut rejeté par la commission de surveillance du prix (des enveloppes brunes auraient-elles circulées? quoi qu’il en soit il n’y a pas eu de gagnant cette année-là).  L’American Academy of Arts and Letters voulut lui accorder une médaille pour le même livre en 1975, mais Pynchon déclina, sans doute pour ne pas avoir à apparaître en public.  Cela dit, et bien qu’il s’agisse d’une œuvre exceptionnelle, je tiens à aviser le lecteur qu’elle représente un pavé de plus de mille pages.  Ceux et celles qui voudraient se familiariser avec l’univers pynchonnien sans trop se décourager devraient plutôt commencer par Vente à la criée du lot 49, également disponible au Seuil dans sa version poche.  Cette dernière ne comporte qu’un maigre 225 pages, mais qui donne une bonne idée de cet auteur pour le moins « étonnant ».


Mathieu Croisetière, libraire